C’est pour une très bonne raison que la naissance de l’Église est célébrée à la Pentecôte. Cette fête de l’Esprit Saint symbolise en effet le passage de la peur à la confiance, du deuil, de l’impuissance et de la douleur au courage plein d’espoir. Mais qu’est-ce que la foi de l’époque a de commun avec nos expériences d’aujourd’hui ?
Traduit de l’allemand par Yvan Mudry
Quand Jésus est mort, les disciples ont pris peur. Découragés, peut-être ont-ils cru que Dieu était absent. C’est là-dessus que l’Esprit Saint en a fait des hommes et des femmes libres, animés par une foi forte. Ils ont alors perçu et interprété d’une tout autre manière l’action de Dieu dans l’histoire de l’humanité et dans celle de son peuple, le peuple juif. Ils ont parlé à tous ceux qu’ils rencontraient de la stupéfiante création, de la libération de toute oppression, de la présence de Dieu jusque dans la souffrance. Ils ont raconté comment ils avaient reconnu la présence de Dieu en Jésus de Nazareth et avaient donc cru qu’il était le Messie, le Fils de Dieu. Ils ont décrit leur expérience, attestant que la mort n’a pas le dernier mot, et ont dit qu’ils espéraient en la résurrection.
L’Esprit de Dieu a rendu les disciples capables de parler d’autres langues, des « langues étrangères », que des personnes venues du monde entier pouvaient comprendre. C’est ainsi qu’ils ont pu franchir certaines barrières culturelles et linguistiques, et que leur message a suscité toutes sortes de réactions (cf. Actes des apôtres 2).
Mais y a-t-il un lien entre la foi en l’Esprit Saint et notre vie d’aujourd’hui ? Faisons-nous des expériences que nous pouvons mettre en relation avec les récits bibliques évoquant cet Esprit ? Dans une autre page du site, j’ai écrit que nous pouvions avoir une expérience de l’Esprit de Dieu, qui nous permettait d’y voir un souffle de vie, une force de résistance et une source d’énergie1. Je vais ici rechercher de nouvelles traces de l’action de l’Esprit de Dieu dans notre quotidien.
Dire tu
Expérience d’aujourd’hui
Quatre hommes, assis à la table des habitués d’un café, jouent au jass. Il y a une très bonne ambiance, pas seulement à cause des couleurs annoncées. Trois des quatre joueurs commencent à dire qui ils tutoient : le maire pour le premier, le directeur un tel pour le second, le curé pour le troisième. L’un d’entre eux a évidemment aussi touché un jour la main d’un évêque, et un autre celle d’un conseiller fédéral. Là-dessus, le quatrième homme, qui était resté silencieux jusque-là, dit soudain : « Vous savez ce qu’il y a de plus surprenant ? Je peux dire tu à celui qui a créé toutes ces personnes. »
L’apôtre Paul écrit dans sa lettre à la communauté de Rome :
« Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, par lequel nous crions : “ Abba ! Père ! ” L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » (Lettre aux Romains 8,15-16)
Voici la plus grande révolution socio-relieuse du christianisme : chaque personne, qu’elle ait le statut d’esclave ou celui de citoyen, qu’elle soit femme ou homme, peut devenir enfant de Dieu si elle croit en Jésus Christ (cf. Lettre aux Galates 2,26-28).
Avant le christianisme, les pharaons d’Égypte, les souverains grecs et les empereurs romains avaient prétendu être fils de Dieu. Dès 2500 av. J.-C. au moins, les rois d’Égypte se faisaient volontiers appeler fils de Rê, autrement dit fils du dieu soleil, un dieu considéré comme le créateur du monde, qui maintient ce dernier dans l’être. À Éphèse, à l’époque romaine, donc du temps de Jésus, une inscription de 48 av. J.-C. à la gloire de Jules César disait qu’il était « le dieu devenu visible et le sauveur universel de la vie humaine ». Une inscription de l’an 9 av. J.-C. loue aussi le jour de la naissance de l’empereur Auguste en ces termes : « Le jour de la naissance du dieu (de l’empereur) débute pour le monde l’évangile lié à son nom. »2
En croyant en Jésus, les disciples ont reconnu que quelqu’un de très différent des souverains antiques était fils de Dieu. En se faisant baptiser « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », les personnes qui suivaient Jésus entrèrent elles aussi en intime communion avec Dieu, dont elles devirent des fils et des filles. Le baptême et la confirmation sont aujourd’hui encore un signe de cette dignité royale et divine.
Réconciliation
Expérience d’aujourd’hui
Une femme en larmes me demande de prier avec elle. Sa mère est à l’agonie, une mère qui n’avait jamais pu montrer qu’elle aimait sa fille. Elle n’avait en effet jamais pris sa fille dans ses bras, même lorsqu’elle était enfant, elle ne l’avait jamais caressée, embrassée. Et rien ne changea par la suite. La fille en souffrit toute sa vie, elle alla d’échec en échec sur de nombreux plans. Jamais elle ne parvint à nouer une relation épanouissante avec un partenaire.
Et voilà que l’heure est venue de prendre congé de la mère mourante. De rechercher une libération quand on a connu l’amertume et l’accablement. De comprendre pourquoi la mère n’a pas été capable de montrer de l’amour à sa fille : le père s’était suicidé avant même la naissance – éprouvant un profond sentiment de honte religieuse et sociale, il était désespéré, parce que l’enfant avait été conçu hors mariage.
Quelle part de faute les Églises ont-elles déjà assumée dans ce domaine ?
En parlant à sa mère mourante, la fille évoque sa blessure de toute une vie, sa souffrance, sa colère et elle peut finalement pardonner à sa maman. Là-dessus, pour la première fois, un geste de tendresse devient possible entre les deux femmes.
Nous l’avons déjà mentionné, c’est l’Esprit Saint qui nous fait dire à Dieu « Abba, Père » – ou aussi bonne « Mère » – et qui nous enseigne par là à prier (Romains 8,15.26). Le Notre Père, la prière clé qui unit la chrétienté, contient ces paroles :
« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » (Évangile de Matthieu 6,12)
Lorsque nous avons été victime d’une grave injustice, il nous paraît sans doute impossible humainement de pardonner. C’est précisément dans une telle situation que nous pouvons miser sur la force de réconciliation de l’Esprit de Dieu. Dans l’Évangile de Matthieu, le pardon est présenté comme un acte à poser. Mais lorsqu’une injustice a été subie, il est plus facile d’y voir une invitation : moi aussi, je veux pardonner et pardonner encore aux autres, comme Dieu ne cesse de me pardonner. La Lettres aux Ephésiens le dit en ces termes :
« Pardonnez-vous réciproquement comme Dieu nous a pardonné en Christ. » (Lettre aux Ephésiens 4,32)
Je ne pense évidemment pas ici à une « réconciliation à bon marché », à un pardon où on baisse la tête, en jouant les modestes. L’injustice doit être évoquée sans détour et éliminée. Il faut empêcher que des crimes – comme la violence sexuelle – soient commis et, lorsque c’est le cas, les dénoncer devant les tribunaux. Les criminels doivent rendre des comptes à la justice, qui doit les punir et leur prescrire des thérapies. Quoi qu’il en soit, il est très important de pouvoir pardonner, même pour les personnes qui ont été victimes d’injustices, car la haine et la volonté de vengeance nuisent à long terme à la santé psychique et spirituelle. Pour survivre, il faut se libérer, apprendre à pardonner lorsqu’une injustice a été subie.
Vérité et franchise
Expériences d’aujourd’hui
Ça se passe à Damas, début 1999, lors d’un voyage de groupe. Nous apprenons que le nonce apostolique de la capitale, l’archevêque Pier Giacomo De Nicolo, a été nommé nonce en Suisse. Spontanément, nous l’appelons pour le féliciter et nous sommes invités tout aussi spontanément à lui rendre visite. Dans la conversation, le prélat décrit la situation de l’Église catholique romaine en Syrie et, alors que nous ne lui avons posé aucune question, dit en toute franchise que « les prêtres du pays sont mariés et ont des enfants ».
Le quatrième enfant de ma sœur est baptisé, ici en Suisse, par un prêtre originaire d’Afrique. Lors du dialogue de préparation au sacrement, celui-ci tient l’enfant dans ses bras, commence à pleurer et dit : « Oh, j’aimerais tant retourner chez moi. Là-bas, je pourrais à la fois être prêtre et avoir une femme et des enfants. »
De nombreuses personnes employées par des œuvres d’entraide ainsi que des membres d’ordres religieux travaillant et vivant dans ces régions du monde me disent qu’il ne s’agit pas là de cas particuliers.
Dans l’Évangile de Jean, l’Esprit de Dieu est appelé à plusieurs reprises « Esprit de vérité » ou « Esprit de la vérité », qui « vous conduira dans toute la vérité » (Évangile de Jean 14,15-18 ; 16,7-15). Et cette vérité rend libre :
«31 Jésus dit aux Juifs qui avaient cru en lui : “ Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, 32 vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. ” » (Évangile de Jean 8,31-32)
Ces versets permettent de l’affirmer : l’Esprit Saint introduit dans la vérité de Jésus Christ et encourage à respecter soi-même les faits et à faire preuve de franchise. Celle-ci naît d’un dialogue sincère avec Dieu, avec soi-même et avec les autres.
Dans un tel dialogue, il n’y a pas de sujet tabou. Cela est aussi vrai pour ce qui est des ministères dans l’Église catholique romaine. L’ancien président de la Conférence des évêques allemands, l’archevêque Robert Zollitsch l’affirmait il y a une décennie déjà (Der Spiegel, 18.2.2008). Nous devons nous demander aujourd’hui quelle est la situation réelle des ministres du culte dans les différentes régions du monde et en tirer des conséquences concernant l’accès des femmes et des personnes mariées aux ministères de l’Église catholique.
Égale dignité de tous
Après le Concile Vatican II, beaucoup de croyants et un nombre toujours plus grand de cardinaux et d’évêques se sont prononcés en faveur de l’ordination des hommes mariés ainsi que des femmes. Mais le pape Jean Paul II a voulu mettre fin définitivement au débat sur les femmes prêtres en déclarant, en vertu de sa mission, « que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église. » (Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, Pentecôte, 22.5.1994)3.
Les débats se sont pourtant poursuivis et se poursuivent encore. Le cardinal de Vienne Christoph Schönborn a ainsi fait la déclaration suivante le 31 mars 2018 : la question de l’ordination des femmes au diaconat, à la prêtrise et à l’épiscopat « ne peut certainement être clarifiée que par un concile ». Même un pape ne peut pas en décider seul. « C’est une question trop importante pour qu’elle puisse être résolue d’un trait de plume par un pape », a dit le cardinal. L’Église constitue en effet une communauté au sein de laquelle les grandes décisions doivent être prises en commun4. C’est probablement cette déclaration qui a incité l’archevêque Luis Ladaria, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, à affirmer avec fermeté que lorsque Jean Paul II s’est exprimé, il s’agissait là d’une « vérité appartenant au dépôt de la foi »5.
Contrairement à ce qu’a dit le prélat romain, une personnalité comme l’évêque de Magdebourg Gerhard Feige estime que la question de l’ordination des femmes reste néanmoins ouverte. « Je ne suis pas sûr qu’on puisse la refuser définitivement en invoquant pour seul argument la tradition », a-t-il ainsi fait savoir le 12 février 2019. Feige estime toutefois que, dans la situation actuelle, il est très peu probable que des femmes puissent être ordonnées prêtres, parce que de nombreux catholiques ne l’accepteraient pas et que cela romprait l’unité de l’Église. « Il n’empêche, cela viendra », ajoute-t-il. En se référant au pape François, l’évêque explique que l’enseignement de l’Église n’est pas intangible et qu’une évolution est possible. Beaucoup de points de doctrine ont été revus durant les deux mille ans d’existence de l’Église, et pas seulement des points de détail. « L’Esprit de Dieu ne pourrait-il pas nous conduire aujourd’hui encore à faire de nouvelles découvertes et à prendre de nouvelles décisions ? » demande encore le prélat6.
L’évêque de Bâle Félix Gmür a déjà souligné qu’il était important de parler de ce sujet sans tabou :
« La question de l’ordination des femmes concerne toute l’Église et elle peut provoquer de grands conflits. C’est pourquoi, à mon avis, il faut l’aborder avec prudence et impliquer tout le monde. Pour moi, rien dans la Bible ne s’y oppose, comme la Commission biblique l’a dit dans les années septante déjà. Autrement dit, nous pouvons en parler et voir quels pas nous pouvons faire. »7.
Dans ses prédications de carême 2019, l’évêque a aussi souligné à quel point les femmes étaient importantes dans les Evangiles8 Il a dit alors : « Ce sont les femmes – et seulement les femmes – qui garantissent la continuité entre la vie, la souffrance, la mort et la résurrection de Jésus Christ. Elles seules étaient présentes ! Alors que les autres – surtout des hommes – avaient pris lâchement la fuite. »9
Des religieuses élèvent la voix
De plus en plus de religieuses élèvent à nouveau la voix pour défendre leur dignité et leur place dans l’Église – les terribles abus sexuels commis par des prêtres, dont elles ont eu connaissance, ont aussi joué un rôle dans leur prise de parole.
La bénédictine Simone Buchs, prieure du couvent de la Sainte-Croix, à Cham, dans le canton de Zoug, et présidente de l’Union des supérieures majeures de Suisse allemande et du Liechtenstein, s’est exprimée sur le sujet le 1er mars 2019. Interdire aux femmes de devenir prêtres, a-t-elle affirmé, cela est « certes légitime du point de vue du droit canonique, mais les lois peuvent être modifiées, et il est grand temps d’agir dans ce domaine. Il devrait y avoir des femmes prêtres comme il y a des hommes prêtres »10. La prieure demandait ainsi ce que des associations de femmes catholiques et de nombreux théologiens et théologiennes demandent depuis des années, et ce que le Comité central des catholiques allemands réclame désormais lui aussi11.
Irene Gassmann, prieure du couvent des bénédictines de Fahr, dans le canton d’Argovie, s’exprime ainsi dans sa Prière du jeudi récitée par de très nombreuses personnes :
« Par un seul baptême, femmes et hommes sont membres égaux et à part entière de l’Église. En œuvrant ensemble dans tous les services et ministères, ils pourront contribuer à une Église renouvelée avançant vers l’avenir. »12
En formulant sa prière, Irene Gassmann se base sur une affirmation de l’apôtre Paul, qui souligne que tous les croyants et tous les baptisés ont la même dignité. Si ces mots étaient lus avec le sérieux qu’ils méritent, ils pourraient indiquer le chemin en ce qui concerne l’ordination des femmes :
« 26 Vous êtes tous fils et filles de Dieu par la foi en Jésus-Christ ; 27 en effet, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous vous êtes revêtus de Christ. 28 Il n’y a plus ni Juif ni non-Juif, il n’y a plus ni esclave ni personne libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ. » (Lettre aux Galates 3,26-28)
- Cf. André Flury: L’Esprit de Dieu (I): Souffle de vie, force de résistance, source d’énergie, sur: https://question-de-foi.ch/2020/03/27/lesprit-de-dieu-i-souffle-de-vie-force-de-resistance-source-denergie/ (27.03.2020)
- Cf. Hans-Josef Klauck: Die religiöse Umwelt des Urchristentums II (Kohlhammer-Studienbücher Theologie 9), Stuttgart 1996, p. 50s; Jens Schröter / Jürgen K. Zangenberg (éd.): Texte zur Umwelt des Neuen Testaments (UTB 3663), Tübingen 3e éd. 2013, p. 397-410.
- https://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/apost_letters/1994/documents/hf_jp-ii_apl_19940522_ordinatio-sacerdotalis.html (22.5.1994)
- https://www.vol.at/schoenborn-das-kann-der-papst-nicht-alleine-klaeren/5730393 (31.3.2018).
- https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2018-05/mgr-ladaria-ferrer-femmes-pretres.html (30.5.2018).
- https://www.vaticannews.va/de/kirche/news/2019-02/kirche-bischof-abtreibungen.html (12.2.2019); vgl. https://www.katholisch.de/aktuelles/aktuelle-artikel/bischof-feige-priesterweihe-fur-frauen-wird-kommen (12.2.2019).
- https://www.kath.ch/newsd/261589/ (20.2.2016).
- Cf. André Flury: Maria Magdalena, sur: https://question-de-foi.ch/2020/03/29/Marie-Madeleine (29.03.2020).
- https://www.solothurnerzeitung.ch/solothurn/kanton-solothurn/er-setzt-auf-evolution-nicht-revolution-bischof-gmuer-kaempft-erneut-fuer-frauen-hinter-dem-altar-134358718 (17.4.2019).
- https://www.aargauerzeitung.ch/schweiz/oberste-schweizer-ordensschwester-hoechste-zeit-dass-frauen-priesterinnen-werden-134148602 (1.3.2019).
- Cf. par ex. pour l’Allemagne https://www.vaticannews.va/de/kirche/news/2019-04/deutschland-zdk-frauendiakoninnen-weiheaemter-priestertum.html; pour la Suisse https://www.frauenbund.ch/was-wir-bewegen/kirche-und-spiritualitaet/frauenkirchenstreik/; pour l’Autriche https://bleibenerhebenwandeln.wordpress.com (14.5.2019).
- https://www.gebet-am-donnerstag.ch/wp-content/uploads/2019/05/Prière-du-jeudi-et-informations-en-français.pdf (15.5.2019).
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