La personne qui prie exprime devant Dieu ce qu’elle a sur le cœur. Elle peut le faire en utilisant des mots ou en méditant en silence, mais aussi en traduisant ses préoccupations sous forme de gestes, de chants ou d’œuvres d’art.
Traduit de l’allemand par Yvan Mudry
La prière peut prendre toutes sortes de visages. Cela dit, certaines formes de prière sont en usage depuis des générations. Pour exprimer leur reconnaissance, des personnes laissent éclater leur joie, chantent ou dansent, comme Moïse et Myriam après la sortie d’Égypte (Exode 15). D’autres, qui se lamentent parce qu’elles se révoltent contre leur destin, adressent à Dieu leurs plaintes ou même l’accusent – l’exemple biblique le plus connu est ici Job (Job 3).
Dans bien des cas, les prières ne sont pas seulement le reflet d’une expérience vécue. Alors les personnes ne se contentent pas d’évoquer devant Dieu ce qu’elles vivent, mais elles lui demandent quelque chose : qu’elles continuent à bénéficier d’un soutien ou que leurs problèmes soient résolus. Celles qui implorent une faveur peuvent s’interroger : qu’est-ce que Dieu est en mesure de faire pour moi ? Qui est-il pour moi et qui suis-je pour lui ?
Lorsque j’attends quelque chose de quelqu’un, j’utilise la formule magique « s’il te plaît ». Les enfants l’apprennent dès leur plus jeune âge. Est-ce qu’il en va de même avec Dieu ? Combien de fois ce qu’on lui demande ne se réalise pas ! Lorsque l’on fait cette expérience, on a envie de savoir pourquoi on n’a pas été exaucée ou exaucé. On imagine alors volontiers qu’il y a une explication : je n’ai peut-être pas utilisé les bons mots, ma foi n’est pas (encore) assez profonde ou ma confiance assez grande pour que ma prière soit entendue. Je n’ai peut-être pas droit à ce que je demande ou, tout compte fait, cela n’est pas bon pour moi. Agir ainsi, c’est chercher la « faute » du côté de celle ou celui qui prie. C’est croire que c’est à cause d’elle ou de lui que la démarche a été un échec.
Il est vraiment utile d’aller plus loin dans la réflexion et de s’interroger aussi sur Dieu, à qui la prière est adressée : que veut-il me donner ? que peut-il me donner ? Si je m’adresse à lui pour ne pas rater mon train ou pour avoir moins de rides, je frappe sans doute à la mauvaise porte. Lui demander de suspendre les lois de la nature pour moi, c’est attendre de lui un miracle. Dieu est alors à mes yeux comme un automate à boissons, qui « crache » ce que je demande si je mets les bonnes pièces.
La peur de manquer le train peut cependant avoir sa place à juste titre dans ma prière. Dans ce cas, je n’attends pas de Dieu qu’il retarde des trains ou en annule pour répondre à mes besoins. Quand je lui parle de mes préoccupations, je fais cette expérience : elles sont replacées dans un contexte plus large, je remarque parfois qu’elles n’ont pas tant d’importance. Je suis devant Dieu comme je suis, avec ce qui me préoccupe et pèse sur moi à cet instant. Rien n’est exclu a priori, pas même ce désir : que je puisse faire ce qui est inscrit à mon agenda. Dans ma relation à Dieu, il y a de la place pour mon désir d’être à l’heure, et aussi pour la joie et le soulagement que je peux éprouver lorsque je n’ai pas raté mon train. Je peux exprimer ma gratitude envers Dieu même lorsqu’il n’y a pas eu d’intervention spectaculaire de sa part. Je le fais parce qu’il est la source de mon existence, une présence à mes côtés et une force dans ma vie. N’est-ce pas là le vrai miracle : que je puisse à chaque instant faire part à Dieu de mes plus petites joies comme de mes soucis les plus ordinaires, un Dieu à qui je peux dire tu ?1
Lorsque je demande quelque chose à Dieu, je fais preuve de confiance : à mes yeux, il n’y a pas que ce qui est là, à cet instant. Mon horizon s’étend au-delà de mon présent. Je m’appuie sur ce sentiment intérieur : ma relation à Dieu est plus profonde que ce qui m’arrive, et elle me soutiendra encore quand la page sera tournée. Cette relation est en quelque sorte l’espace au sein duquel ma vie se déroule. Il n’y a pas que les heures étoilées ou les moments réservés à Dieu, comme la messe du dimanche, qui ont un lien avec lui. Les plus petites choses du quotidien, les factures, les tâches ménagères, les rencontres, tout cela a sa place devant Dieu.
Jésus a encouragé ses disciples à prier Dieu non seulement pour que son Règne vienne, mais aussi pour qu’ils aient du pain (cf. Évangile de Matthieu 6,11). On peut s’adresser à Dieu parce qu’on a des besoins concrets. Il n’y a pas que les aspirations spirituelles profondes qui soient dignes de lui. En priant pour toutes sortes de choses, grandes ou petites, on obtient déjà ceci : notre vie avec tout ce qui la constitue devient importante, parce qu’elle est placée sous le regard de Dieu. La prière peut donc être définie comme un moyen « de trouver et d’être conduit vers un chemin spirituel menant des nécessités matérielles à l’unique nécessaire»2.
Les mots – et donc les prières contenant des mots – ont une dimension performative. Autrement dit, ils façonnent la réalité dès qu’ils sont prononcés. La vie quotidienne nous apprend que ce n’est pas là une vue de l’esprit : lorsque, par exemple, quelqu’un me fait un compliment, j’aborde mes tâches avec plus de confiance. Si, dans une situation tendue, je trouve des mots permettant de décrire ce qui se passe, les choses s’apaiseront peut-être. En ce qui concerne la prière, cela signifie que la simple formulation d’une demande peut permettre de jeter un autre regard sur une situation. Parfois, l’ordre de nos priorités se transforme alors même que nous cherchons nos mots pour exprimer nos besoins.
Conçue de cette manière, la prière de demande peut être féconde pour une autre raison encore. Lorsque je formule mes désirs, je peux les tester face à moi-même. Je peux expérimenter, dans un cadre protégé, ce que mon besoin peut déclencher lorsqu’il est exprimé, ou percevoir comment mon désir « sonne ». Peut-être ma prière se modifiera-t-elle à la suite de cette expérience. Il se peut alors que je sache toujours mieux quels sont mes souhaits et que je sois en mesure de les exprimer de façon plus convaincante face mes proches. Il se peut aussi qu’en faisant part de mes désirs face à Dieu, j’en vienne à déceler plus finement comment ils se réalisent dans mon quotidien. Un grand nombre d’aspirations continueront à habiter mon cœur, elles me préoccuperont, seront une charge pour moi. Mais je ne me laisserai pas d’en faire part à Dieu, en ayant confiance – une oreille m’écoute. Difficile de savoir si et dans quelle mesure mes demandes seront exaucées. Je n’ai pas besoin de plus : que la prière devienne un lieu où je peux me rendre à tout moment et formuler toutes mes demandes en sachant qu’elles sont prises en compte.
La formule « s’il vous plaît » est ambiguë. Elle peut exprimer un ordre : «Faites ça, s’il vous plaît ! » Mais elle sert aussi à offrir un espace à quelqu’un, par exemple pour qu’il parle : « Après vous, s’il vous plaît ». Ce deuxième sens permet de voir la prière sous un autre angle encore, du point de vue de Dieu en quelque sorte. Je peux alors découvrir que, lorsque je prie, Dieu s’adresse à moi pour me donner la parole, afin que je dispose d’un espace où je me sente en sécurité et puisse évoquer ce que je vis – serait-ce en demandant quelque chose.
- Cf. à ce propos Isabelle Senn, Rencontrer Dieu dans la prière, https://question-de-foi.ch/2020/03/27/rencontrer-dieu-dans-la-priere/ (08.10.2021).
- Jürgen Werbick, Von Gott sprechen an der Grenze zum Verstummen, Münster 2004, 183.
Crédits photos: Couverture: Tehzeeb Kazmi, unsplash; Image 1: Piotr Stachiewicz, la prière du, pèlerin. Pastel sur carton (1908). Musée silésien de Katowice (Pologne); Image 2: Jeremy Yap, unsplash; Image 3: James E. Allen, Prière pour la pluie, lithographie (1938), Smithsonian American Art Museum; Image 4: Henrikke Due, unsplash; Image 5: Caravaggio, Saint François en prière, huile sur toile (1606), Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome; Image 6: Jean-François Millet, la sonnerie de l’Angélus, huile sur toile (1859), Musée d’Orsay Paris
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