Le troisième dimanche de l’Avent est appelé « Gaudete », « réjouissez-vous ! ». Mais comment faire en sorte qu’il y ait plus de joie dans notre vie ? Quand il y a tant de ténèbres, d’atrocités, de raisons d’avoir peur dans notre monde, pouvons-nous connaître de vraies joies ?
Traduit de l’allemand par Yvan Mudry
La joie naît en nous de mille manières, et ce qui rend une personne joyeuse peut en laisser une autre indifférente. Mais il y a des expériences qui nous touchent toutes et tous, et cela est aussi vrai dans le domaine de la foi. J’évoquerai ici trois expériences de ce type, qui me permettent d’éprouver, comme croyant, un profond sentiment de joie.
Considérer sa vie comme un cadeau
Pour connaître la joie, il faut considérer sa vie comme un cadeau, j’en suis profondément convaincu. Le dire de cette manière, cela peut sembler banal, mais le plus souvent, cela ne va pas de soi. Car pour bien des personnes, vivre, c’est avant tout se comparer aux autres. Toutes jeunes déjà, elles se sont efforcées d’être les plus rapides, les plus performantes, les plus belles. Lorsqu’on est engagé dans une telle course, on risque bien d’aller de déception en déception.
Nous expliquons souvent notre mal-être en évoquant le passé : si j’avais eu une enfance moins malheureuse, si mes parents avaient compris qui j’étais et m’avaient encouragé ou encouragée, si j’avais pu faire une autre formation…, alors ma vie serait différente aujourd’hui, je pourrais m’en réjouir, je saurais ce que c’est que le bonheur.
Aussi troublant cela soit-il, de telles phrases contiennent une part de vérité, il faut bien le dire. Nous serions bel et bien des personnes différentes si notre vie avait suivi un autre cours, plus heureux ou non, c’est là une autre question. Quoi qu’il en soit, nous portons souvent un gros sac à dos, fait de blessures, de maladies, de relations avortées, de ruptures, de conflits, de souffrances subies par exemple sur son lieu de travail. De telles épreuves peuvent être un fardeau permanent, et empêcher de mener une vie heureuse. Et nous il y a aussi les expériences traumatisantes comme les graves accidents, les crimes dont on peut être victime, les guerres…
Les ruptures et les problèmes font partie de la vie. Il ne faut pas passer trop vite sur l’injustice ou la souffrance, il ne faut pas les minimiser ou les refouler. Ce qui s’est passé s’est passé, impossible de faire comme si ça n’avait pas existé.
En dépit de tous les obstacles
Il y a quelque temps, j’ai rencontré une femme qui marchait avec des cannes et montait un long escalier pentu. Je lui ai demandé si je pouvais l’aider à porter ses courses, et elle m’a dit oui. Là-dessus, elle m’a raconté qu’elle était handicapée depuis l’enfance. Elle n’avait ainsi jamais pu marcher, sauter, courir comme les autres enfants. Peut-être a-t-elle compris que j’aurais aimé lui demander comment elle l’avait vécu. Toujours est-il qu’elle a poursuivi joyeusement son récit en disant : « Mes parents me disaient toujours : c’est cette vie qui t’a été offerte, pas une autre, cette vie. Accepte-la, réjouis-toi de ce que tu peux faire dans ta vie!»
J’ai été impressionné. Voir dans sa vie un cadeau, dans sa vie telle qu’elle se présente, avec ses ombres et ses lumières. Sans une telle disposition, difficile de connaître un jour la joie.
Cette attitude est évoquée à de nombreuses reprises dans les textes bibliques, par exemple dans le Psaume 139,14 : Dieu, « je te rends grâce pour tant de prodiges : merveille que je suis, merveille que tes œuvres ».
Faire une place à la joie ici et maintenant
Pour connaître la joie, il faut aussi, selon moi, lui faire une place ici et maintenant, aujourd’hui et non pas demain. C’est un peu dans notre nature de remettre les choses à plus tard, en disant par exemple : si je réussis à décrocher tel ou tel poste, j’irai travailler avec entrain ; si je trouve l’âme sœur, je vivrai dans la joie ; quand je serai à la retraite, j’aurai enfin le temps de faire ce qui me plaît ; quand j’aurai changé d’appartement et que j’aurai d’autres voisins, tout sera facile…
Lorsqu’on se raconte ce genre de choses, on risque de penser, jusqu’à la fin de sa vie, que le bonheur, c’est toujours pour demain.
Sans cesse, à tout instant
À l’époque biblique déjà, des fidèles préféraient croire que l’avènement d’un monde meilleur ne se produirait que dans un avenir lointain. L’apôtre Paul était d’un autre avis. Dans l’épître aux Philippiens, il lance donc cet appel : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur. » (Lettre aux Philippiens 4,4) L’exhortation est claire, il faut se réjouir ici et maintenant – la joie, ce n’est pas pour après.
Le message de Paul est encore plus fort si on sait que lorsqu’il a écrit ces mots, il se trouvait probablement en prison. L’apôtre n’entend pas se réjouir lorsqu’il aura été libéré, il veut être heureux sur le champ, là où il se trouve, dans la nuit de sa cellule. C’est qu’il a confiance : Dieu est à ses côtés ici et maintenant dans le Christ, malgré l’épreuve et l’obscurité. Quelles que soient les circonstances, Dieu le rend joyeux.
Seulement pour aujourd’hui
Le pape Jean XXIII (1881-1963) était dans la même disposition que Paul. C’est lui qui a convoqué le concile Vatican II, grâce auquel l’Église catholique a pu procéder à d’importantes réformes. Déjà très âgé et gravement malade, il a écrit dix phrases sur le lâcher-prise ou, pour prendre un mot utilisé dans la tradition spirituelle, l’abandon. Voici deux de ces phrases :
« Rien qu’aujourd’hui, j’essaierai de vivre ma journée sans chercher à résoudre le
problème de toute ma vie. »« Rien qu’aujourd’hui, je n’aurai aucune crainte. Et tout particulièrement je n’aurai pas
peur d’apprécier ce qui est beau et de croire à la bonté. »1
Si nous apprenons à voir, ici et maintenant, ce qui est beau, à être reconnaissants, ici et maintenant, pour le bien qui peut être fait, alors, en dépit de tout, la joie elle aussi s’invitera dans notre vie.
Rencontrer Dieu en agissant concrètement
Beaucoup de gens croient que Dieu se trouve dans ce qui sort de l’ordinaire et suscite l’émerveillement, autant dire dans ce qui est surnaturel ou miraculeux. Il en allait déjà ainsi du temps de Jésus, comme en témoigne la scène évoquant les foules qui se rendaient dans le désert pour écouter Jean-Baptiste, qui annonçait la venue du Seigneur (Évangile de Luc 3). Ces foules avaient de grandes attentes : elles croyaient que le pays serait libéré du joug des Romains, que la vie deviendrait plus facile, qu’il n’y aurait plus ni guerres ni violences. Et c’est en ayant tout cela en tête qu’elles demandaient : « Que nous faut-il donc faire ? »
Mais Jean-Baptiste leur répond d’une manière très simple, qui fait presque sourire : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même… » Jean semble ainsi dire : pour préparer la venue de Dieu, il faut simplement aimer son prochain en posant des actes concrets.
J’ai cherché Dieu
Cela me rappelle ce petit poème :
« J’ai cherché mon âme,
mais je n’ai pas vu mon âme.
J’ai cherché mon Dieu,
mais mon Dieu m’a échappé.
J’ai cherché à aider mon prochain dans le besoin
et je les ai trouvés tous les trois. »2
Bien sûr, il faut aussi espérer de grandes choses, des bouleversements. Il faut rêver de justice, de paix, de sauvegarde de la création – d’un nouveau ciel et d’une nouvelle terre. Mais ce rêve ne commence à se réaliser que lorsque je fais un premier pas, aussi petit soit-il.
Jean-Baptiste espérait lui aussi un changement radical. Il annonçait la venue, après lui, de quelqu’un de plus fort que lui. Celui-ci baptiserait « dans l’Esprit Saint et le feu ». Il devait aussi séparer la balle du blé. Jean espérait donc du Messie promis qu’il mette de l’ordre en se servant de son pouvoir jusqu’à recourir à la force.
Mais ce « plus fort » viendra finalement au monde dans une crèche, pauvre et nu, enveloppé dans des langes, comme un enfant humain. Et c’est vers cet enfant que nous pouvons aller durant l’Avent en éprouvant la même joie que Paul a éprouvée quand il était en prison :
« Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le répète, réjouissez-vous. Que votre douceur soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne vous inquiétez de rien, mais en toutes choses faites connaître vos besoins à Dieu par des prières et des supplications, dans une attitude de reconnaissance. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre, gardera votre cœur et vos pensées en Jésus-Christ. » (Lettre aux Philippiens 4,4-7)
- Ce décalogue se trouve par ex. sur ce site : http://diocesedetours.catholique.fr/fileadmin/diocese/contenus/telechargements/Mgr_Jordy_-_Textes/jordy-decalogue-serenite_mai_2020.pdf
- Ce texte est attribué au poète anglais William Blake (1757-1827).
Crédits photos: Couverture: Pablo Picasso, Joie de vivre, huile sur carton 1946. Musée Picasso, Antibes. Image : alamy / Photo 1: Podium dans un stade. Unsplash@floschmaezz / Photo 2: Cadeau. Unsplash@miagolic / Photo 3: Robert Delaunay: Rythme, Joie de vivre, huile sur toile 1930, Musée national d’art moderne Paris. Image: alamy / Photo 4: Désert en Israël. Unsplash@dmclenachan
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