Les chrétiens sont des « oints ». Lors du baptême et de la confirmation, ils ont été marqués du saint chrême. Par cet acte symbolique s’expriment à la fois une élection et une mission.
Traduit de l’allemand par Alexander Gottet
Au cours de la Semaine sainte, l’évêque consacre les saintes huiles destinées à l’administration des sacrements et des ordinations dans son diocèse tout au long de l’année.1 L’huile de chrême (du grec chrisma, « onction ») est un mélange d’huile d’olive et d’un parfum, traditionnellement le baume ou un autre arôme. L’évêque souffle sur l’huile et prie Dieu, dans la prière de consécration : « Élève-les [les baptisés] à la dignité de rois, de prêtres et de prophètes ; qu’ils deviennent un temple empli du parfum d’une vie agréable à Dieu. » Divers motifs bibliques résonnent ici.
Oints de l’huile de joie
L’onction d’huile est un bienfait : elle purifie, soigne, fortifie, guérit et protège le corps — les peuples du bassin méditerranéen le savent depuis l’Antiquité. Dans la Bible, l’onction apparaît souvent, sous de multiples formes. Comme service rendu à autrui, elle exprime l’estime, l’honneur et l’hospitalité. Dans l’Égypte ancienne, on avait coutume de placer sur la tête des invités un cône d’onguent : l’huile qui s’écoulait rafraîchissait le front et répandait un parfum agréable.2 Le pharisien Simon, en revanche, avait manifestement négligé ce geste d’égard envers Jésus, son hôte (Évangile selon saint Luc 7,46), tandis qu’une femme présente lui oignait les pieds. Par cet acte, elle lui rendit un service d’amour, n’hésitant pas à utiliser une huile précieuse. L’huile de l’onction contribua ainsi au caractère festif du repas et fut vécue comme une « huile de joie » (Psaume 45,8), signe de communion et de plénitude de vie. Le Psaume 23,5 dit à propos de Dieu : « Tu parfumes ma tête d’huile, et ma coupe déborde. »

Oints comme roi, prêtre et prophète
Le geste de l’onction exprime donc une marque de considération et d’honneur. Dans l’Antiquité, on introduisait une personne dans une fonction par une onction rituelle. L’Ancien Testament mentionne l’onction des rois d’Israël, des prêtres et des prophètes. Cette onction confère une légitimité divine, une dignité et une autorité : elle signifie que l’on se trouve sous la protection et l’assistance particulières de Dieu. Les rois Saül, David et leurs successeurs portent le titre de Messie — en hébreu Mashiah, c’est-à-dire « l’oint ».3
À l’époque de Jésus, le judaïsme désigne comme « l’oint » le nouveau David, le sauveur eschatologique attendu. Pour les écrits du Nouveau Testament, il est clair que Jésus est cet Oint — le Christos (du grec christos, « oint »). « Comme médiateur entre Dieu et les hommes, il est le véritable prêtre : en lui, Dieu offre réconciliation et salut. Comme bon pasteur, il est le roi du Royaume de Dieu déjà inauguré : sa royauté est marquée par le soin et l’amour qui donnent espace et souffle à la vie. Par son ouverture à la parole divine, il est prophète : il annonce la bonne nouvelle de Dieu par la parole et par les actes. »4
Dans la suite du Christ, les baptisés sont eux aussi oints. Ainsi Paul écrit à la communauté de Corinthe : « Celui qui nous affermit avec vous en Christ et qui nous donne l’onction, c’est Dieu, lui qui nous a marqués de son sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l’Esprit. » (Deuxième lettre aux Corinthiens 1,21-22). Du Christ, les baptisés reçoivent part à sa dignité et à sa mission royale, sacerdotales et prophétiques.

Rois pour Dieu
Par le baptême et la confirmation, on est introduit dans la longue histoire de Dieu avec son peuple. Cela apparaît, par exemple, dans les vêpres du mardi de la première semaine5 : les psaumes 20 et 21, appartenant au groupe des « psaumes royaux », évoquent le roi d’Israël comme l’Oint du Seigneur. Les priants chrétiens identifient cet Oint au Christ lorsqu’ils chantent les antiennes des psaumes : « Le Seigneur a donné la victoire à son Oint » et « Seigneur, nous voulons chanter et jouer pour ta puissance victorieuse ». Après les psaumes, un cantique tiré de l’Apocalypse (chapitres 4 et 5) est chanté : un hymne d’action de grâce adressée au Christ, l’Agneau de Dieu. Il y est dit qu’il a acquis pour Dieu, parmi toutes les nations, un peuple qu’il a fait « rois et prêtres pour notre Dieu ». L’antienne du cantique actualise ce verset : « Tu nous as faits, Seigneur, rois et prêtres pour notre Dieu. »
Élus par amour
Être oint signifie être choisi. L’élection divine précède l’onction et se rend visible par elle. Le mot « élection » ou « être élu » est aujourd’hui difficile à comprendre et souvent mal perçu. Dans une société fondée sur la performance, nous avons l’habitude qu’on soit choisi ou honoré pour ses mérites particuliers. Le théologien et psychologue Henri Nouwen écrit : « Être choisi ne signifie pas que d’autres sont rejetés. Dans un monde comme le nôtre, entièrement dominé par la compétition, il est difficile de l’imaginer. »6
Dieu s’est choisi un peuple pour être son bien propre7, il oint rois, prêtres et prophètes pour ce peuple ; le Christ appelle hommes et femmes à le suivre dans son Église. L’élection de Dieu est libre et sans condition : c’est une élection d’amour. Être élu décrit une relation personnelle. Israël est le peuple qui appartient à Dieu de manière intime.8. La voix céleste dit à Jésus : « Tu es mon Fils bien-aimé » (Évangile selon saint Marc 1,11). L’élection par amour n’exclut personne. « Au lieu de reléguer les autres à un rang inférieur, elle les accueille dans leur singularité propre. Ce choix ne s’inscrit pas dans un contexte de concurrence, mais dans un climat d’empathie et d’affection. »9 L’onction rend manifeste cette attention et cette bienveillance aimante.

Oints et envoyés
L’élection divine n’est ni une distinction honorifique, ni une récompense, ni un label de qualité : elle est toujours liée à une mission. L’Église, peuple de Dieu, n’existe pas pour elle-même ; elle n’est pas une communauté d’âmes vertueuses et autosuffisantes, mais, en tant que « race élue » (Première lettre de Pierre 2,9), elle est chargée de poursuivre la mission du Christ. Cette mission est clairement énoncée dans la parole d’Isaïe (Isaïe 61,1), que Jésus s’applique à lui-même et qui unit étroitement les notions d’« onction » et d’« envoi » : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a conféré l’onction ; pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur » (Évangile selon saint Luc 4,18-20).
La force nécessaire à la mission chrétienne ne naît pas de l’effort humain, mais de la puissance de l’Esprit divin. Lors de la confirmation, la formule d’onction dit : « Sois marqué du sceau de l’Esprit Saint, le don de Dieu. » L’onction au saint chrême renvoie à la triple fonction biblique : l’Église annonce la Parole de Dieu dans le temps (fonction prophétique), rend présent le nom de Dieu (fonction sacerdotale) et œuvre à l’avènement de son Royaume (fonction royale). L’onction symbolise ainsi la vocation de chaque baptisé : être pour Dieu le « bon parfum du Christ » (Deuxième lettre aux Corinthiens 2,15).
- Cf. Pontifikale für die katholischen Bistümer des deutschen Sprachgebietes. Volume 4: Die Weihe der Kirche und des Altares. Die Weihe der Öle. Handausgabe mit liturgischen Hinweisen. Ed par les Instituts liturgiques, Fribourg-en-Brisgau, 1994.
- Cf. Peter Riede: Salbung (AT), sur : https://www.die-bibel.de/ressourcen/wibilex/altes-testament/salbung-at (10.02.2025)
- Cf. Ernst-Joachim Waschke: Messias (AT), sur : https://www.die-bibel.de/ressourcen/wibilex/altes-testament/messias-at (10.02.2025).
- Christoph Freilinger: Salböl des Heiles, sur: https://www.kirchenzeitung.at/site/kirche/glaube/salboel-des-heiles (10.02.2025).
- Cf. Stundenbuch Die Feier des Stundengebetes für die katholischen Bistümer des deutschen Sprachgebietes. Band 3, Einsiedeln 1978, p. 244-248.
- Henri J.M. Nouwen: Du bist der geliebte Mensch. Religiös leben in der säkularen Welt, Fribourg-en-Brisgau 12. éd. 2002, p. 45.
- Cf. Exode 19,5; Malachie 3,17; 1 Pierre 2,9.
- Cf. Deutéronome 7,6 ; 14,2 ; 26,18.
- Henri J.M. Nouwen: Du bist der geliebte Mensch, p. 46.
Crédits d’images: Image de couverture: de l’huile de lavande est versée dans une machine à vapeur. Unsplash@tronle_sg / Image 1: L’onction de David, Paolo Veronese, vers 1555 après J.-C., aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne. Wikimedia Commons ( Yelkrokoyade) / Image 2: Lettre avec cachet portant l’inscription « With love ». Unsplash@sippakorn / Image 3: Une femme se fait oindre les mains. Unsplash@mrgregg225
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