Dans la tradition judéo-chrétienne, les images sont en principe interdites. Les Dix Commandements demandent en effet de ne pas représenter Dieu. Il n’empêche, la plupart des Occidentaux attribuent des traits masculins au Créateur, source de tout ce qui existe. Depuis que Michel-Ange a peint la fresque monumentale de la Création d’Adam au moins, ils voient en lui un homme à la fois âgé et plein de dynamisme.
Traduit de l’allemand par Yvan Mudry
Les images de Dieu
Les images donnent un aperçu visuel des choses. Elles représentent ce qui n’est pas là où « immortalisent » un instant passé. Un poster nous permet de contempler la mer dans notre salon, une photo de revenir au temps de l’enfance. Les images ne sont pas les choses, mais seulement une représentation de celles-ci.
Au Proche-Orient, dans l’Antiquité, on se faisait une tout autre idée des images, idée qui se retrouve dans les textes de l’Ancien Testament. Pour les auteurs de ces récits, une image remplace ce qu’elle représente, comme pourrait le faire un envoyé. Le souverain, le roi ou l’empereur absent est présent dans son image. C’est ainsi qu’il est là, dans toutes les régions où il règne, et qu’un culte peut lui être rendu partout. Il en allait de même pour les divinités : on croyait qu’elles aussi étaient présentes par exemple dans leurs statues. Quand on croit qu’une image remplace une personne, on pense qu’une interaction avec elle est possible. La personne représentée sera alors invoquée, on lui demandera son conseil par l’intermédiaire de l’image, et l’image elle-même sera vénérée ou adorée, parce qu’elle rend la personne présente. L’interdiction des images dans l’Ancien Testament met fin à cette pratique religieuse : Dieu, le Créateur à l’origine de tout, ne peut pas se retrouver dans une image. Impossible de vénérer les matériaux qui constituent images et statues, voilà l’approche justifiant l’interdiction rapportée aux Hébreux par Moïse lorsqu’il redescend du Sinaï. De là ce texte de l’Exode, ici dans la version de la Bible Segond 21 : « Tu ne te feras pas de sculpture sacrée ni de représentation de ce qui est en haut dans le ciel, en bas sur la terre et dans l’eau plus bas que la terre. » (20,4) Il n’est pas interdit de se faire une idée de Dieu, mais il ne faut pas, selon la coutume, rendre un culte à une statue ou à une image le représentant1.
Dieu dans un corps humain et remplissant des fonctions masculines
Il y avait beaucoup d’images et de statues des dieux dans l’Orient ancien. Il n’est donc pas étonnant que le Premier Testament contienne toutes sortes de descriptions de Dieu, qui évoquent certains éléments du corps humain – n’est-il pas dit que l’homme a été créé à l’image de Dieu ?
Les récits ne décrivent pas Dieu « de la tête aux pieds ». S’ils nomment certaines parties du corps, comme la tête ou les pieds, ce qui les intéresse, c’est la fonction remplie par ces organes. Ainsi de nombreux textes parlent-ils des « entrailles » de Dieu pour faire comprendre qu’il éprouve de l’empathie et de la compassion. Lorsqu’il est question du nez de Dieu, c’est pour décrire par exemple sa colère, et la mention de son visage peut renvoyer à sa bienveillance. Si les textes disent que Dieu a des oreilles, c’est pour bien faire comprendre qu’on peut aller à lui, lui faire part de ses préoccupations, et être entendus et écoutés. La mention de la main ou du bras de Dieu indique au moyen d’une image qu’il agit, puissamment, et celle de son cœur, qu’il pense et qu’il a des projets2.
Dieu n’apparaît nulle part sous forme de corps entier dans les textes bibliques. Les parties du corps évoquées ne s’inscrivent pas dans un tout et sont mentionnées pour mettre en évidence un aspect particulier de la relation entre Dieu et l’humanité. Il n’est jamais question des organes sexuels primaires de Dieu. Les textes ne lui attribuent donc pas de sexe biologique. Mais, parce que de nombreux rôles sociaux étaient réservés aux hommes dans l’ancien Israël, il était normal d’associer Dieu et masculinité : on voyait en lui un roi qui fait régner la paix sur ses terres, un juge qui défend la justice dans les relations interpersonnelles ou un père qui gère une communauté domestique, la protège et veille à sa préservation.
Aujourd’hui, il n’existe plus de lien direct entre une majorité de rôles sociaux et la masculinité. En règle générale, le sexe biologique n’est plus déterminant lorsqu’il s’agit d’occuper une fonction dans et au service de la société. L’heure est donc venue de se poser cette question : ne serait-il pas judicieux de retoucher l’image d’un Dieu qui, dans la tradition judéo-chrétienne, a des traits masculins ?
Une expérience
Il y a quelque temps, j’ai été invitée à une célébration d’un genre particulier. Ce dimanche-là, la consigne était de faire délibérément une place à des représentations féminines de Dieu lors de l’eucharistie. Lorsque je me suis assise dans l’église, j’étais pleine de curiosité. La cérémonie m’intéressait d’abord en tant que théologienne : comment l’équipe de préparation s’y était-elle prise pour remodeler l’image masculine de Dieu ? Les prières et les formules liturgiques avaient-elles été féminisées, et jusqu’à quel point ? Allais-je reconnaître la liturgie dominicale malgré ces changements ?
Mes attentes n’ont pas été déçues. La liturgie était cohérente de bout en bout. Je m’y suis retrouvée, plus encore, la transformation des formules de toujours m’a fait du bien. J’ai fait une expérience à laquelle je ne m’attendais pas : en moi s’est produit quelque chose qui ne s’était jamais produit lors des eucharisties dominicales. C’est comme si Dieu m’était «apparu » sous un autre jour – plus lointain et plus proche à la fois. Le changement de genre dans les prières bien connues a eu un effet sur moi. Le « Par Elle, avec Elle et en Elle » de la doxologie finale de la prière eucharistique avait quelque chose d’étrange, mais en même temps la formule m’a paru tout à fait familière. En m’adressant explicitement à Dieu conçu comme une mère, j’ai perçu plus fortement sa tendresse.
Impossible d’assigner un sexe biologique à Dieu. Dieu n’est pas seulement « le Seigneur », mais aussi « l’Éternelle ». Et nous pouvons aller à lui en utilisant beaucoup d’autres noms ou désignations. Aucun des mots que nous employons ne nous permet à lui seul de le comprendre.
Espaces vides
L’humanité a fait toutes sortes d’expériences et nourri toutes sortes d’espoirs. Sur cette base, elle a pensé que Dieu remplissait des fonctions et avait des aptitudes particulières. Elle s’est ainsi forgé des représentations de Dieu, en partant de son expérience du corps et de l’agir humains. Il n’empêche, le « corps » de Dieu, tel qu’il apparaît dans la Bible, n’est pas complet. Il présente des espaces vides. Ceux-ci sont une aubaine : il y a ainsi de la place, et nous pouvons intégrer nos idées d’aujourd’hui dans l’image judéo-chrétienne de Dieu.
Que se passe-t-il lorsque nous récitons des prières et chantons des chants que nous connaissons bien, mais en utilisant d’autres noms de Dieu ? Lorsque « le Père » devient par exemple « la Mère », « le Seigneur» « la Joie », « le Très-Haut » « l’horizon de toute vie » ? Il n’y a pas de limites à la créativité langagière. La tradition juive ainsi que les traductions de la Bible en langage courant n’ont pas peur d’innover et de dire les choses d’une autre manière.
Si nous lisons, si nous chantons des textes ainsi réécrits, peut-être auront-ils un autre écho en nous. Peut-être percevrons-nous une mélodie qui nous surprendra. Peut-être découvrirons-nous soudain une autre facette de Dieu. N’ayez pas peur d’en faire l’expérience !
- Cf. aussi Angela Büchel Sladkovic: Comment les images ont-elles fait leur entrée dans le christianisme ? https://question-de-foi.ch/2020/07/04/comment-les-images-ont-elles-fait-leur-entree-dans-le-christianisme/ (02.03.2021)
- Vgl. Gerlinde Baumann: Das göttliche Geschlecht, in: Hedwig-Jahnow-Forschungsprojekt (Hg.): Körperkonzepte im Ersten Testament. Aspekte einer Feministischen Anthropologie, Stuttgart 2003, S. 220-247.
Crédits photos Couverture: adam-le-sommer, unsplash.org / Photo 1: La création d’Adam, fresque de Michel-Ange, vers 1510, Chapelle Sixtine Vatican, wikimedia commons / Photo 2: complize, photocase.de / Photo 3: Symboles des différents sexes / Photo 4: «The Creation of God», Huile sur toile. Œuvre de l’artiste américaine Harmonia Rosales. Photo: instagram.com/honeiee.
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